Rencontre avec les chimpanzés de Kibale
Que l’on soit photographe ou naturaliste, lorsqu’on va en Ouganda, nous avons la possibilité de rencontrer des êtres extraordinaires. Je parle des gorilles bien sûr mais aussi des chimpanzés.
Fraichement rentrée d’Ouganda, j’ai donc décidé de vous partager cette expérience.
Depuis des années je rêvais de rencontrer les gorilles. D’autant plus après leur contact dont je parle dans le livre que nous avons co-écrit avec une amie ( Paroles de loups).
Mais j’avoue que je ne savais que penser de cette rencontre avec les chimpanzés qui était au programme de mon voyage. Tout ce que je savais c’était par un ami, et qu’il fallait se méfier car ils urinaient sur les visiteurs depuis leur perchoir( arbres fruitiers). Cela me faisait sourire. Mais la réalité a été bien différente.
Où rencontrer et photographier les chimpanzés en Ouganda ?
Il existe de nombreux endroits où l’on peut rencontrer des chimpanzés dans la nature. Kibale est un de ces lieux, réputé pour la qualité des rencontres/ observations.
C’est ainsi que nous voilà partis pour rencontrer des chimpanzés à l’état sauvage mais habitués à la présence de l’homme.
Le parc national de Kibale
Il se situe dans l’ouest du pays. Sa superficie de 776 km² est constituée de forêt tropicale humide dont l’altitude est comprise entre 1100 et 1600 mètres.
Principal lieu d’observation des chimpanzés en Ouganda, leur population est estimée à environ 1500 individus.
Mais ce parc abrite aussi de nombreuses espèces :
- 12 autres espèces de primates
- 60 espèces de mammifères( buffles, éléphants de forêt, phacochères, lion, chat doré, léopard …). D’ailleurs la ranger qui nous guide est munie d’un fusil pour tirer en l’air en cas de charge d’éléphants…
- Environ 335 espèces d’oiseaux
- 229 espèces de végétaux
Le chimpanzee tracking
Le parc national de Kibale propose deux formes de visites différentes :
L’une est une visite d’une heure en compagnie de chimpanzés dits « habitués » à l’homme.
L’autre est une expérience de 4 heures en compagnie de chimpanzés en processus » d’habituation ».
Le processus d’habituation est un travail délicat qui peut durer plusieurs années. Ce processus consiste à la présence d’humains quasi en permanence auprès d’un groupe, afin que les animaux sauvages assimilent les observateurs comme des éléments neutres de l’environnement. Cela permet ainsi de recueillir énormément d’observations et d’informations. L’évolution de ce processus dépend de la qualité des relations passées entre l’espèce et les populations locales, de l’organisation sociale de l’espèce, de sa densité, de l’habitat et de la méthode utilisée. Cela peut être long et ne pas toujours aboutir.
Le programme de notre voyage a prévu une expérience de chaque pour mon plus grand bonheur.
Le tracking se fait à pied. Il y a deux départs par jour de prévus : un à 8 heures et l’autre à 14h.
La marche d’approche varie en fonction de là où se trouve les chimpanzés, si ils bougent…mais le terrain étant plat, la progression est plutôt facile. La distance à respecter avec les chimpanzés est de 7 mètres.
Le nombre de visiteurs est de 8 personnes et il faut avoir 14 ans minimum pour participer.
Enfin, afin de nous aider dans notre expérience, des porteurs sont mis à notre disposition afin de porter notre matériel photo ou sac… cela n’est pas forcément nécessaire mais cela permet de contribuer à créer une activité économique pour les populations locales.
Rencontre avec les chimpanzés.
Nous y voilà. Il est 8 heures et nous avons rdv avec la ranger qui va nous guider et qui nous fait un checkpoint sur les règles à tenir durant ce tracking : porter le masque en leur présence(afin de ne pas leur transmettre de virus), distance de 7 mètres minimum, ne pas manger en leur présence, rester calme, ne pas parler trop fort, pas de flash… bref du bon sens mais qui doit être rappelé pour une rencontre sereine.
Nous voilà partis. Nous pénétrons dans la forêt. Un environnement dense et luxuriant. Tous mes sens sont ouverts. Notre ranger nous ouvre la voie et nous montre les signes de passage et de présence de ceux que nous sommes venus rencontrer…quelques empreintes au sol, des restes de fruits… Quand soudain les premiers cris se font entendre. Mon coeur se met à battre fort dans ma poitrine. Premier contact. Leur cri résonne dans la forêt et nous indique la direction à prendre.
Tout à coup…la ranger s’arrête. « Mettez vos masques ». J’attrape mes appareils photos. Je tremble tellement l’émotion est forte. J’aperçois un peu plus loin deux individus. Ils sont au sol et marchent tranquillement. Nous commençons à les suivre tout en gardant une distance. Puis, l’un d’eux s’arrête et s’assoit au milieu d’une belle végétation dense. Il est là, calme et semble nous observer. Il hume l’air. Puis il pousse un cri, comme pour avertir ses congénères de notre présence. Mais il est serein . Il se déplace alors et se dirige vers une petite clairière où un tronc d’arbre couché lui permet de se mettre en hauteur par rapport à nous(environ 2 mètres). C’est alors qu’il s’assoit tel un sage et nous observe. Il s’épouille tranquillement. Nous regarde. S’épouille… Nous aurons le temps de prendre pas mal de clichés de cet être que je trouve incroyablement serein en notre présence.
Je ne peux m’empêcher d’observer ses attitudes si proches de nous et ce regard profond qui vient me toucher. Je comprend aujourd’hui le titre de ce magnifique livre écrit par Sabrina Krief « Chimpanzés, mes frères de la forêt ».
Après un long moment d’observation mutuelle avec ce grand mâle, il se met à pousser un cri. Les autres lui répondent. Puis après un dernier regard, il se lève et s’enfonce dans la végétation. La ranger nous fait nous remettre en marche et nous continuons notre progression en hors piste dans la forêt. Nous nous dirigeons vers les trackers qui sont avec le groupe depuis le petit matin et qui nous indique la direction par talkie walkie.
Nous les retrouvons et là, la ranger nous fait lever la tête. Il y a des dizaines et des dizaines de chimpanzés dans les arbres. Nous allons passer ainsi 4 heures en leur compagnie. La tête en l’air. Nous en voyons certains monter en quelques secondes avec agilité le long des troncs, d’autres se reposent. Des mamans avec des petits sont là. Certains se chamaillent. Notamment une femelle qui est avec son petit et qui présente un derrière tout gonflé. La ranger nous explique qu’elle est prête à l accouplement et elle attire d’ailleurs beaucoup de mâles. Mais elle n’est pas du tout d’accord. Ce qui donne lieu à des scènes de chamaillerie assez bruyantes…
Nous allons passer 4 heures d’observation avec eux, les regardant manger des figues, sautant de branches en branches, s’épouiller, des mères câliner leur petit qui s’accroche à leur ventre. De temps en temps on reçoit des gouttes de jus de fruit. Parfois on évite les moments de besoins( oui ils font leur besoin depuis leur branche alors gare dessous…lol)
De temps en temps on suit un des individus qui descend au sol.
J’ai adoré cette expérience. Chaque chimpanzé que nous avons observé est un être à part entière avec des traits physiques uniques, un caractère unique… Ce qui m’a plu c’est que nous avons pu les observer dans leur activité quotidienne, et sans dérangement.
La ranger nous explique que même s ils mangent beaucoup de fruits, de temps en temps les chimpanzés partent en chasse d’autres singes de la forêt. Notamment, certains singes se nourrissent de fruits qui les rendent saouls et ainsi les chimpanzés par une organisation précise se mettent à les chasser.
Manger de la viande, leur donne de la force, de l’énergie et permet d’assoir une certaine autorité dans le groupe.
Les 4 heures passent rapidement et c’est la fin de ce premier tracking. Je me sens remplie de gratitude d’avoir découvert des êtres extraordinaires dans un environnement luxuriant et je me réjouis d’avance du prochain tracking, qui a lieu le lendemain.
Deuxième rencontre
Nous nous retrouvons ainsi, une nouvelle fois le lendemain matin aux aurores au poste de départ du chimpanzee tracking.
Ce coup-ci nous allons visiter un groupe habitué à la présence de l’homme. Mais ce tracking va s’avérer plus long que le premier car les chimpanzés ont déjà quitté leur nid et bougent plutôt rapidement.
Nous trouvons un premier petit groupe mais étant très haut dans les arbres, la ranger décide au bout d’un moment d’essayer de trouver une autre partie de ce groupe.
Ce groupe a énormément d’individus et ils se séparent souvent pour des raisons de quantité de nourriture. Puis parfois ils se retrouvent.
Nous nous remettons donc en marche, à la recherche d’autres individus. C’est au bout de deux heures que nous allons les trouver.
La matinée étant déjà bien avancée, ceux-ci ont déjà bien mangé et lorsque nous les trouvons ils sont simplement là, allongés au sol.
A tel point que lorsque j’aperçois le premier, allongé au sol, nous regardant arriver vers lui, à moins de 2 mètres et ne bougeant pas, je questionne la ranger « is he ok ? » – « yes ! »
Voir ces chimpanzés, simplement allongés là, nous regardant naviguer entre eux, s’épouiller, dormir malgrés notre présence parfois à moins de deux mètres est très étonnant et m’a , je dois l’avouer, un peu perturbée.
Ils sont tellement habitués à la présence d’humains qu’ils ne bougent pas. Il y aura juste une femelle qui va montrer les limites à un photographe qui s’approcha un peu trop près et un jeune qui montre un peu plus de signes de méfiance. Je vais d’ailleurs l’observer monter sur le tronc d’un figuier et taper sur l’arbre, pour donner un signal. Les troncs énormes de figuiers sont de véritables caisse de résonnance, et les chimpanzés s’en servent de moyen de communication entre eux.
Ils nous considèrent ainsi, comme des éléments neutres de leur environnement. C’est très surprenant à vivre.
Nous passons ainsi, notre heure avec des chimpanzés en mode « sieste », ce qui fût moyennement intéressant pour les photos mais tout de même enrichissant, comme toute rencontre avec des animaux sauvages.
Les grands singes sont fascinants par leurs expressions et croiser le regard d’un chimpanzé change à jamais sa vision du monde. Une véritable passion pour eux est née.
Et dès que je suis rentrée en France, j’ai eu envie d’en apprendre plus sur eux. J’ai ainsi lu des livres des primatologues Sabrina Krief et Jane Goodall.
Voici quelques informations sur les chimpanzés mais je vous conseille vivement de lire ces ouvrages, dont vous trouverez la liste un peu plus loin.
A savoir sur les chimpanzés.
- Le chimpanzé commun que l’on rencontre en Ouganda est la sous-espèce Pan troglodyte schweinfurthii. On estime leur nombre à 5000 individus.
- Les chimpanzés mâles et femelles et jeunes vivent dans de grands groupes sur un territoire commun . Ce groupe se sépare pour des raisons de quantité de nourriture et se retrouvent parfois.
- Le toilettage est une partie importante de leur vie sociale et aide à créer des liens entre les individus.
- Ils façonnent et utilisent des outils : des bâtons ou brindilles pour récupérer des insectes, des larves, des pierres pour écraser des noix, des feuilles pour récupérer de l’eau…
- Les mâles préfèrent s’accoupler avec de vieilles femelles. Pas de ménopause chez les chimpanzés.
- L’adolescence est une période charnière. Les mâles doivent faire leur place dans le groupe tandis que les femelles quittent leur groupe pour en trouver un autre et fonder leur famille.
- Tous les jours au crépuscule, chaque chimpanzés sevré construit son nid pour la nuit avec des branches pliées et entremêlées.
- Ils ont développé une pharmacopée naturelle : ils mangent des feuilles amères de Trichilia rubescens aux molécules antipaludiques ; des feuilles d’Aneilema aequinoctiale hérissées de poils qu’ils veillent à ne pas mâcher pour débarrasser leurs intestins des vers ; des feuilles de Diospyros abissinica aux molécules actives anticancéreuses mais aussi anti-inflammatoires ; de la rubia cordifolia, un excellent antiparasitaire ; de l’écorce d’albizia grandibracteata pour soigner les troubles digestifs…
- Depuis quelques temps, certains de ces chimpanzés souffrent d’étranges malformations de la face et des troubles de la reproduction. La primatologue Sabrina Krief et son équipe soupçonnent les pesticides d’être à l’origine de ces malformations congénitales. Il y a donc un gros travail de cohabitation intelligente à faire…
Quelques ouvrages intéressants.
« Chimpanzés, mes frères de la forêt » de Sabrina Krief
« Les chimpanzés des monts de la lune » de Sabrina et JM Krief
En conclusion
Vous l’aurez compris, rencontrer les chimpanzés est une expérience extraordinaire dans une vie qui nous change à jamais…
Retrouvez nos amis chimpanzés et les gorilles dans le prochain numéro du magazine Earth Dream Mag 3 du mois de septembre. Ouverture des pré-ventes bientôt.
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